Le sang dans les zones de guerre : les contributions du Canada au service des soldats qui ont besoin de transfusions

Par le Dr Andrew Beckett

Le lieutenant-colonel Andrew Beckett est chef de la chirurgie générale et conseiller en traumatologie auprès du médecin-général du Canada.

Innovation
6 février 2020

Il n’est pas fréquent de voir des blessures comme celles que j’ai pu observer chez des civils en Afghanistan, causées par des munitions à haute vitesse, des grenades à fragmentation, des mines terrestres et des engins explosifs improvisés. Lorsqu’une personne perd énormément de sang, elle a besoin d’une transfusion. Le meilleur chirurgien traumatologue ne pourra jamais sauver son patient s’il n’a pas de sang à sa disposition. La Société canadienne du sang est un partenaire vital qui veille à ce que les patients aient accès à du sang et à des produits sanguins, même dans les régions éloignées et dangereuses où se déroulent souvent les opérations militaires.

Les premières innovations ​​​​​​

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L. Bruce Robertson en uniforme (Fonds L.-Bruce-Robertson, F 1374, Archives publiques de l’Ontario, I0050303) 
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Nécessaire à transfusion pendant la Première Guerre mondiale (CWM 19980102-003/Musée canadien de la guerre) 

Le Canada a joué un rôle majeur dans le domaine des transfusions sanguines sur le champ de bataille, et ce, dès la Première Guerre mondiale. À l’époque, en cas de perte importante de sang, l’intervention la plus courante pratiquée par les médecins britanniques consistait à injecter une solution saline. Cela augmentait le volume sanguin, mais bien souvent, la santé du patient déclinait rapidement peu de temps après, puisque la dilution du sang ne pouvait restaurer les fonctions normales du soldat blessé. Le Dr Bruce Robertson, qui travaillait en temps de paix à l’Hospital for Sick Children de Toronto comme chirurgien, a été un pionnier de la médecine transfusionnelle en appliquant ses connaissances et ses compétences sur la ligne de front.

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Garrot tourniquet utilisé pendant la Première Guerre mondiale (CWM 20100106-038/Musée canadien de la guerre) 

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Arrivée d’un blessé à un poste d’évacuation sanitaire en octobre 1916. (Bibliothèque et Archives Canada/C-3395813) 

Affecté à un poste en évacuation sanitaire, le Dr Robertson prélevait du sang sur des soldats aux blessures relativement mineures pour le transfuser aux blessés graves. Le Royal Army Medical Corps décrira plus tard son travail comme « le progrès médical le plus important issu de la Première Guerre mondiale ».

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Réalisation d’une transfusion par Norman Bethune (Bibliothèque et Archives Canada/C-67451) 

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Réfugiés à côté d’une ambulance de l’Unité de transfusion de sang canadienne pendant la guerre d’Espagne. (Bibliothèque et Archives Canada/C-3194605) 

Le Dr Norman Bethune est un autre Canadien qui a marqué l’histoire des transfusions sur les champs de bataille. Pendant la guerre civile d’Espagne, il a utilisé ses connaissances en transfusion pour créer le premier service mobile de transfusion sanguine sur la ligne de front à l’aide d’un véhicule équipé d’un réfrigérateur, d’un stérilisateur et d’un incubateur. Cinq mois après ses débuts en 1937, son Servicio Canadiense de Transfusion de Sangre Al Frente fournissait du sang le long d’un front qui s’étalait sur 1 000 km, réalisant jusqu’à une centaine de transfusions par jour. Le service est rapidement passé d’un seul véhicule à une flotte de 5 véhicules. Pour approvisionner les lignes de front, le Dr Bethune avait également créé un centre de donneurs de sang à Madrid, où des donneurs étaient sollicités toutes les 3 semaines. À la fin de la guerre, en 1939, le service avait transfusé près de 5 000 unités de sang. Le Dr Bethune et son véhicule sont à l’origine d’environ 80 % de toutes les transfusions effectuées pendant la guerre civile espagnole.

Recherche-développement : le plasma lyophilisé

Le plasma peut être très utile dans le traitement des hémorragies, mais il ne constitue pas l’option la plus commode, puisqu’il faut le congeler, puis le décongeler (30 minutes environ) et qu’une fois décongelé, il doit être réfrigéré et utilisé dans la semaine. Dans un contexte de guerre, où des vagues de blessés graves peuvent déferler de manière inattendue, le plasma congelé n’est pas toujours une solution pratique, en particulier dans les régions isolées où il est difficile ou impossible d’avoir accès à des congélateurs, à des réfrigérateurs ou à du matériel de décongélation.

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Administration d’une transfusion sanguine à un soldat par le lieutenant B. Rankin, Corps de santé royal canadien, à Montreuil (France), 10 septembre 1944. (Bibliothèque et Archives Canada/C-3395950) 

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Bouteille en verre de plasma lyophilisé et boîte en métal utilisée pour l’expédition datées du 25 juillet 1945. (Croix-Rouge canadienne) 

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Charles Best, découvreur de l’insuline avec Frederick Banting, a été un chef de file dans le développement du plasma lyophilisé. Une fois déshydraté dans des bouteilles, scellé puis expédié, le plasma pouvait être réhydraté à l’aide d’eau distillée stérile selon les besoins, avant d’être transfusé aux patients. Grâce à cette méthode qui rendait le plasma léger et durable, il était plus facile d’avoir accès à ce produit. Le Canada est ainsi devenu le principal producteur de plasma lyophilisé du Commonwealth.

Au déclenchement de la guerre de Corée, on recourait cependant de moins en moins au plasma lyophilisé. En raison de sa méthode de fabrication et de l’absence de dépistage efficace de certaines maladies, des soldats avaient en effet été infectés par le virus de l’hépatite. Dans les décennies qui ont suivi, l’expertise en la matière s’est perdue au sein de communauté médicale et biopharmaceutique. Mais tout se renouvelle : de nouvelles procédures d’essai et de dépistage améliorées ont suscité un regain d’intérêt de la communauté militaire à l’égard du plasma lyophilisé ces dernières années. Cela s’est concrétisé notamment par un nouvel engagement de l’armée canadienne à financer le développement de ce produit par la Société canadienne du sang.

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Administration de plasma à un blessé, Hôpital général canadien no 15, Corps de santé royal canadien, à El Harrouch (Algérie), 8 septembre 1943. (Bibliothèque et Archives Canada/C-3191723) 

Une banque de sang mobile

En 2006, les Forces armées canadiennes se sont associées à la Société canadienne du sang pour créer un programme de « donneurs ambulatoires », une banque de sang mobile. Créé pendant la guerre en Afghanistan, alors qu’un vaste déploiement de troupes canadiennes se dirigeait vers Kandahar, il permettait d’accéder à des produits sanguins, comme des globules rouges ou du plasma, dans des endroits où cela est impossible en temps normal.

Ce programme prévoit une évaluation préalable des troupes afin que les soldats deviennent des donneurs de sang pendant le déploiement. Ceux-ci se rendent dans des centres de donneurs de la Société canadienne du sang avant leur déploiement pour y subir des dépistages et des analyses (bilan de santé, dépistage des maladies transmissibles et détermination du groupe sanguin), comme c’est le cas dans le cadre des programmes de don ordinaires de la Société canadienne du sang.

Le personnel médical militaire peut alors consulter l’information recueillie pour choisir un donneur en fonction de sa compatibilité avec un blessé. Le donneur fait un don de sang total qui est transfusé au blessé. Le médecin-général autorise l’utilisation de sang total frais dans un environnement opérationnel, et après la transfusion, des analyses confirment la bonne santé du receveur et du donneur. Dans le cadre de ce programme, la Société canadienne du sang forme également le personnel des Forces armées canadiennes au dépistage et à la phlébotomie.

La Société canadienne du sang soutient les Forces armées canadiennes depuis le début du programme – interrompu en 2009, puis repris en 2014 – et a réalisé des dépistages sur environ 2 800 de leurs membres avant leur déploiement.

De bras à bras : boucler la boucle

La médecine transfusionnelle a fait d’énormes progrès depuis la Première Guerre mondiale, mais la boucle est en quelque sorte bouclée en ce qui concerne les transfusions dans le cadre d’opérations militaires. La Société canadienne du sang étudie la possibilité d’offrir de nouveau du sang total et de reprendre les transfusions de bras à bras comme par le passé. La référence standard moderne dans le domaine de la médecine transfusionnelle est la thérapie par composants sanguins, qui consiste à ne transfuser que les composants sanguins dont la personne a besoin (globules rouges, plasma ou plaquettes). Or, le sang total fournit aux blessés qui ont perdu beaucoup de sang tout ce dont ils ont besoin dans les proportions adéquates. Ainsi, le cœur peut continuer à battre, les poumons à respirer et nos soldats ont une chance de survivre.

Dans de tels cas, seuls le sang et les produits sanguins fonctionnent. La Société canadienne du sang joue un rôle essentiel dans notre capacité à offrir les meilleurs soins possible aux soldats en déploiement.

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Lieutenant-colonel Andrew Beckett, à Kandahar (Afghanistan), en 2010. 

Lieutenant-colonel dans le Service de santé royal canadien, le Dr Andrew Beckett, CD, M.D., M.Sc., FRCSC, FACS, travaille comme chirurgien traumatologue et spécialiste en médecine intensive. Il est également chirurgien traumatologue à l’Hôpital général de Montréal et a participé à de nombreuses missions militaires à l’étranger.

Ses travaux de recherche s’intéressent notamment à la transfusion massive et à la réanimation dans les environnements difficiles, à la gestion des bases de données de blessés au combat et à la formation en simulation militaire. Il occupe actuellement un poste de professeur adjoint de chirurgie à l’Université McGill.

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