Si vous donnez du sang, vous vous demandez peut-être où va le sang que vous donnez.
Peut-être imaginez-vous que la petite poche rondelette s’en va directement au chevet d’un patient. La réalité est beaucoup plus impressionnante.
Si vous donnez du sang, vous vous demandez peut-être où va le sang que vous donnez.
Peut-être imaginez-vous que la petite poche rondelette s’en va directement au chevet d’un patient. La réalité est beaucoup plus impressionnante.
Une fois sorti du centre de donneurs, votre sang poursuit son parcours dans une chaîne de production complexe.
Plus d’un millier d’unités de sang arrivent ici chaque jour. Peut-être même que votre sang est passé entre les mains des gens que nous allons vous présenter.
Martin Roth est chauffeur. Il prend la route tôt le matin pour aller porter du matériel aux centres de donneurs et événements spéciaux. Il transporte un peu de tout, depuis des poches et des boîtes pour le sang jusqu’à des lits en passant par des collations. Les chauffeurs ramènent aussi le sang collecté.
« On peut dire qu’on est les “roadies” du “show de sang” », plaisante Martin.
« On monte tout ce qu’il y a à monter, puis une fois que c’est fini, on s’active pour tout démonter, comme les “roadies” pour les concerts de rock », illustre Martin.
S’il est vital de ne pas perdre de temps pour que le sang poursuive rapidement son parcours, il est tout aussi vital de prendre bien soin des donneurs. Martin est bien placé pour le savoir, lui qui fera bientôt son 50e don.
Et pendant qu’il remballe, il rythme son pas beaucoup plus sur celui d’une berceuse que d’un rock, soucieux de ne pas déranger les donneurs encore dans les lits.
« Donner du sang est quelque chose de très personnel, de très privé », dit-il.
Martin et ses collègues aident à leur façon à rendre l’expérience de don agréable. Puis pendant la soirée et la nuit, ils rapportent leur précieuse cargaison au centre de Brampton.
Ce jour-là, le centre a reçu 1 047 unités de sang, qui seront transformées par l’assistant de laboratoire Samer Kharseh et ses collègues. Le traitement commence à 6 h, après que les travailleurs de nuit ont examiné chaque poche de sang à la recherche d’anomalies et de signes de dommage — n’importe quoi indiquant que le sang à l’intérieur pourrait être corrompu.
En moins de 24 heures, on sépare les différents composants : globules rouges, plasma et plaquettes. Pour que les unités soient prêtes dans les temps, le processus commence avant même que tous les tests soient faits. Une fois prêts, les produits finis sont mis en quarantaine en attendant les résultats du laboratoire.
À son arrivée à la Société canadienne du sang, Deborah Kamath, qui venait du milieu pharmaceutique, était étonnée de la complexité des opérations.
La microbiologiste et superviseure de la production raconte : « J’ai été vraiment surprise de voir comment les composants sont séparés, tout le travail que ça demande. »
« Chaque poche doit être manipulée par du personnel spécialement formé. »
Samer est l’un des membres de ce personnel. Il est entré au service de la Société canadienne du sang après avoir travaillé dans des laboratoires d’hôpitaux en Syrie, où il est né, puis dans une banque de sang d’Arabie Saoudite, où il est resté pendant dix ans.
« J’ai toujours l’impression que le sang que je manipule va à des gens que je connais, dit-il. C’est pour ça que j’y fais très attention. »
Chaque unité de sang est d’abord placée dans une centrifugeuse, où elle tourne pendant une vingtaine de minutes.
La centrifugeuse sépare le sang en couches : le plasma sur le dessus, les globules rouges dans le fond et entre les deux, une mince couche contenant les plaquettes — la couche leucoplaquettaire.
Puis à l’aide d’un extracteur, Samer pousse les composants dans différents réceptacles reliés à la poche de sang par des tubes.
Les poches de globules rouges sont suspendues à des poteaux pour filtrer les globules blancs avant d’être mises au réfrigérateur.
Les unités de couche leucoplaquettaire sont mélangées par groupes de quatre avec une unité de plasma, puis elles sont soumises à un autre processus de centrifugation, d’extraction et de filtrage.
Les poches de plaquette mélangées sont conservées à température ambiante dans un appareil qui les agite doucement pour éviter la formation de caillots.
Ce cycle de production ne s’arrête jamais, ni pendant la fin de semaine ni pendant les congés.
« Il y a des gens qui travaillent de jour et d’autres, de nuit. Sans ce travail en continu, les hôpitaux n’auraient pas ce qu’il faut pour soigner les patients », souligne Deborah.
« Il est extrêmement valorisant de savoir que notre travail peut faire la différence entre la vie et la mort. »
S’il a l’impression que le sang est destiné à des gens qu’il connaît, Samer n’en pense pas moins aux donneurs.
« Je sais que tous ces gens généreux donnent du sang simplement parce qu’ils veulent aider. »
Pendant que les unités de sang avancent sur la chaîne de production, l’équipe chargée des analyses teste leur innocuité. Chaque don arrive au centre avec quatre échantillons de sang du même donneur.
Le laboratoire de Brampton analyse les unités provenant des environs, mais aussi d’autres régions du pays, par exemple les provinces de l’Atlantique.
« On peut recevoir jusqu’à 8 000 échantillons en une seule journée », précise la technologue principale Sheila Annett, employée de la Société canadienne du sang depuis une vingtaine d’années.
Les analyses visent trois objectifs : dépister des maladies transmissibles par transfusion, déterminer le groupe sanguin et tester la compatibilité.
La plupart des tests se font mécaniquement et par lots.
Tout d’abord, les technologues placent des lots d’échantillons dans une centrifugeuse.
Une autre machine enlève les bouchons des tubes et dépose les éprouvettes sur des supports. Avant 2019, toutes ces opérations étaient faites manuellement.
« C’est vraiment quelque chose à voir, commente Sheila. On en parlait déjà il y a vingt ans et voilà que ça se concrétise. »
Les technologues glissent les supports d’éprouvettes dans les instruments d’analyse, qui transmettent les résultats à un ordinateur. Certains échantillons sont analysés manuellement pour vérifier, par exemple, s’ils ont les caractéristiques recherchées pour répondre aux besoins précis de certains patients.
Chaque échantillon passe par toutes les analyses dans les douze heures suivant son arrivée au centre.
Les résultats sont appariés aux dons qu’ont traités Deborah, Samer et leurs collègues.
Les produits qui reçoivent le feu vert sont retirés de la quarantaine pour reprendre la route vers les patients.
En ce qui concerne le plasma, une bonne partie sera envoyée à des fabricants spécialisés. Il reviendra ensuite à Brampton sous forme de protéines plasmatiques, une catégorie de médicaments pour laquelle la demande au Canada est en pleine expansion.
Les autres produits prennent un chemin plus direct.
Les assistants de laboratoire, dont Angela Hunt, ne chôment pas : les commandes affluent.
Angela et ses collègues préparent et répartissent les commandes urgentes ainsi que les commandes de routine, celles qui maintiennent les réserves des hôpitaux aux bons niveaux.
Un jour, Angela a dû enfiler les commandes urgentes une après l’autre à cause d’un accident de la route. L’urgence était telle que l’hôpital appelait régulièrement pour suivre la progression des produits pendant le trajet. Un autre jour, alors que le quart de travail tirait à sa fin, le centre a reçu une commande pour les besoins d’une transplantation multi-organes.
Parfois, elle fait le lien entre une commande reçue et une histoire qu’elle entend par la suite aux nouvelles. D’autres fois, elle tient l’histoire du personnel de l’hôpital.
« On entend l’urgence dans leur voix. Il arrive qu’ils nous disent ce qui se passe de leur côté », raconte Angela.
Ce jour-là, Angela doit remplir une commande de plaquettes urgente et les plaquettes doivent provenir d’un donneur en particulier, car le jumelage doit être le plus précis possible pour bien soigner le patient. C’est à elle de voir à ce que la commande se rende à l’hôpital.
« Les patients dépendent de nous, dit Angela. Nous améliorons la santé des gens malades et parfois, nous leur sauvons même la vie. »
Pour remplir certaines commandes très pointues, Angela consulte un technicien spécialisé. Ces techniciens ont les ressources pour ratisser les réserves de produits sanguins du Canada et même d’autres pays. Et de temps en temps, Angela prend une unité dans ce congélateur. Les globules rouges de groupes sanguins très rares peuvent y être conservés pendant des années.
Peu importe le besoin, Angela comprend parfaitement l’importance des produits qu’elle met sur le convoyeur.
« Des gens de ma propre famille ont reçu des produits sanguins. Une de mes sœurs a eu un accident d’auto et une autre a été malade quand elle était jeune. C’est ce qui m’a donné le goût de travailler ici », dit-elle.
« Quand je viens travailler, chaque patient est mon patient. »
La fin du parcours revient aux chauffeurs, dont Devinder Saini. Les chauffeurs chargent les boîtes dans les camions pour les acheminer aux hôpitaux, ou encore à l’aéroport lorsque les produits sont destinés à d’autres régions du pays.
Si la plupart des trajets font partie de la routine, il arrive que certains sortent de l’ordinaire. Devinder se rappelle très bien une livraison d’avril 2018. Il devait se rendre à un hôpital de Toronto qui recevait des victimes de l’attaque au camion-bélier survenue sur la rue Yonge.
« J’ai fait de mon mieux pour livrer le sang à temps parce que j’entendais à la radio que c’était grave », se souvient-il, ajoutant que le trajet s’était bien passé et que le personnel de l’hôpital l’avait accueilli avec gratitude.
Il est toutefois rare que les gens recevant le sang livré par Devinder fassent les nouvelles. La plupart sont des personnes ordinaires auxquelles le chauffeur peut facilement s’identifier.
Lui-même s’est d’ailleurs retrouvé dans le rôle du patient il y a deux ans, après avoir fait une crise cardiaque majeure.
Il n’a pas eu besoin de produits sanguins à ce moment-là, mais Devinder est conscient que cela pourrait changer rapidement, puisqu’il pourrait devoir subir un pontage.
Cela dit, même s’il n’a pas eu besoin d’une seule goutte de sang, Devinder est reconnaissant à la Société canadienne du sang.
Les médecins lui ont dit qu’il serait probablement mort s’il n’avait pas fait son infarctus à l’hôpital, où il faisait une livraison.