La jeune Aaliyah a pu compter sur une armée de donneurs de sang pour survivre pendant la pandémie.
La Société canadienne du sang a continué de lui fournir des globules rouges qui étaient compatibles avec son groupe sanguin peu commun.
Malgré la pandémie qui a balayé la planète ce printemps, de généreux donneurs de sang de tous les coins du Canada se sont risqués à sortir pour sauver la vie d’une petite fille de cinq ans.
Il est fort probable que ces donneurs ne rencontreront jamais Aaliyah Mchopanga, et que peu d’entre eux, voire aucun, sauront qu’ils donnent du sang pour elle. Ce qui les lie à cette jeune receveuse, c’est un groupe sanguin très inhabituel chez les donneurs canadiens. Grâce à leurs dons, l’équipe médicale de l’hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique a pu obtenir les composants sanguins nécessaires à la survie de la petite Aaliyah.
Leur générosité a également permis à Aaliyah de rencontrer sa petite sœur, qui est née dans le même complexe hospitalier où elle luttait pour sa propre vie.
Aaliyah Mchopanga en compagnie de ses sœurs Naila (à gauche) et Mya. Mya est née à la fin du mois de mars tandis qu’Aaliyah était à l’hôpital en raison de crises provoquées par l’anémie falciforme.
Un diagnostic bouleversant
En 2017, le père d’Aaliyah, Abdi Mchopanga, est arrivé de Tanzanie au Canada pour faire une maîtrise en administration des affaires à l’Université du Nouveau-Brunswick. En 2018, il s’est installé à Surrey, en Colombie-Britannique, avec son épouse, Aziza Mfaume, et leurs deux filles, Aaliyah et Naila, aujourd’hui âgée de huit ans.
La famille était heureuse de commencer une nouvelle vie au Canada, mais après six mois, tout a changé. À leur arrivée au Canada, les parents d’Aaliyah ignoraient que leur fille souffrait d’anémie falciforme. Les personnes nées avec ce trouble héréditaire présentent des molécules d’hémoglobine atypiques. L’hémoglobine anormale entraîne la déformation des globules rouges qui, normalement ronds, prennent la forme d’un croissant ou d’une faux et peuvent rester coincés dans les vaisseaux sanguins. La maladie peut causer des crises douloureuses, entraîner une anémie et abîmer les organes.
Les premiers signes de la maladie sont apparus au cours du premier hiver d’Aaliyah au Canada.
« Elle était tellement excitée, raconte M. Mchopanga. Je crois qu’on était en janvier. Il y avait de la neige. Elle a passé beaucoup de temps à jouer dehors. Quand elle est entrée dans la maison, elle a commencé à pleurer en touchant différentes parties de son corps et en se plaignant d’avoir mal. »
Le froid est réputé pour déclencher des crises de douleur chez les personnes souffrant d’anémie falciforme. Ce même hiver, la famille a été informée du diagnostic dévastateur.
« On a vécu un moment très éprouvant quand on a appris que notre fille allait vivre avec la douleur causée par l’anémie falciforme », admet Mme Mfaume.
L’annonce a été particulièrement bouleversante pour M. Mchopanga, qui n’avait aucune idée qu’il était porteur de la mutation génétique à l’origine de la maladie. Pour comble de malheur, Naila, la sœur aînée d’Aaliyah, souffre elle aussi de la maladie, bien qu’elle n’ait eu aucun grave symptôme jusqu’ici.
La Dre Gwen Clarke est hématopathologiste; elle dirige le Programme de sang rare de la Société canadienne du sang.
La recherche de donneurs de sang
Les globules rouges de donneurs en bonne santé sont souvent la clé pour améliorer la santé et la qualité de vie des personnes atteintes d’anémie falciforme. Pour Aaliyah toutefois, il est difficile de trouver des donneurs qui sont compatibles non seulement avec son groupe sanguin ABO, mais aussi avec sa combinaison inhabituelle d’antigènes — des molécules qui se trouvent à la surface de chaque globule rouge de son corps.
C’est une difficulté que l’on rencontre souvent chez les patients canadiens qui ont une anémie falciforme, selon la Dre Gwen Clarke, hématopathologiste et chef du Programme de sang rare à la Société canadienne du sang.
« C’est en partie parce que la plupart des donneurs sont blancs et que la plupart des patients souffrant de cette maladie sont noirs, explique la Dre Clarke. Les gens de différentes origines ethniques ont différentes combinaisons d’antigènes. »
Pour répondre aux besoins de ces patients et de bien d’autres, la Société canadienne du sang encourage les gens de diverses origines ethniques à donner du sang régulièrement. Elle soumet également certains dons à des tests visant à détecter des antigènes autres que ceux que la Dre Clarke appelle les « onze principaux antigènes », afin d’aider les patients exigeant une compatibilité plus précise.
Si vous avez donné du sang plus d’une fois et que vous vous êtes identifié comme appartenant à un groupe ethnique non caucasien, votre sang est plus susceptible d’être analysé en profondeur et d’être dirigé vers des patients comme Aaliyah.
John Wu est hématologue clinicien à l’hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, à Vancouver, en Colombie-Britannique
L’armée d’Aaliyah
Pour survivre au printemps, Aaliyah avait besoin d’une petite armée de ces donneurs dont on scrute le sang.
« C’est le cas le plus compliqué d’anémie falciforme que j’ai vu en près de 27 ans, ici à l’hôpital pour enfants », estime l’hématologue clinicien John Wu, qui a rencontré Aaliyah pour la première fois en mars 2019.
M. Wu a compris que le groupe sanguin d’Aaliyah était inhabituel même chez les donneurs noirs lorsqu’elle a fait une réaction immunitaire à sa deuxième transfusion à la fin de 2019. Peu de temps après l’incident, le Programme de sang rare a été sollicité. Le personnel de la Société canadienne du sang a trouvé plus de 70 donneurs dans plusieurs provinces qui pouvaient être contactés pour répondre aux besoins futurs de la fillette.
M. Wu a recommandé qu’un traitement de remplacement des globules rouges soit entrepris en janvier 2020. Ainsi, toutes les deux ou trois semaines, les globules rouges d’Aaliyah sont remplacés par de nouveaux qui peuvent provenir de quatre donneurs.
Aaliyah Mchopanga (au centre), accompagnée de son père Abdi Mchopanga (à droite) et de l’infirmière autorisée Kate Douglas. Aaliyah reçoit régulièrement des globules rouges de donneurs en bonne santé pour remplacer les siens qui sont anormaux à cause de l’anémie falciforme.
Aux limites des connaissances
Coordonner les dons d’un si grand nombre de donneurs compatibles est un défi, mais c’est une logistique que la Dre Clarke et ses collègues connaissent bien à la Société canadienne du sang. « Nous avons essentiellement un groupe de donneurs qui suivent pratiquement un calendrier de dons. On entre en contact avec eux pour nous assurer qu’ils iront donner du sang deux ou trois semaines avant la date prévue des transfusions d’Aaliyah. Et puis, on recommence », explique la Dre Clarke.
L’exercice met largement à contribution le Centre national d’appels de la Société canadienne du sang, le service centralisé à l’autre bout du 1 866 JE DONNE. Les gens appellent au Centre pour obtenir de l’information et prendre rendez-vous pour faire un don. De son côté, l’équipe tente aussi de joindre certains donneurs au besoin.
« Nous avons des gestionnaires de cas qui communiquent avec notre Centre national d’appels et qui disent : “Voici une liste de dix donneurs. Pouvez-vous vous assurer qu’au moins quatre d’entre eux ont pris rendez-vous pour un don au cours du prochain mois?” », poursuit la Dre Clarke.
Les besoins d’Aaliyah ont toutefois augmenté rapidement. Une complication l’a obligée à recevoir des transfusions aussi souvent qu’une fois par semaine. Puis, à la mi-mars, elle a eu deux accidents vasculaires cérébraux (AVC) en raison d’un rare syndrome touchant les vaisseaux sanguins du cerveau. À un certain moment, M. Wu a demandé les conseils d’un éminent hématologue qui avait publié de nombreux articles sur les AVC chez les patients souffrant d’anémie falciforme. Ce qu’il lui a dit était décourageant :
« Vous devez dire au père de l’enfant que vous êtes arrivé aux limites des connaissances actuelles, que plus personne ne sait quoi faire, » cite M. Wu.
L’état d’Aaliyah se détériorant, M. Wu a dû recommander l’ablation de la rate, une intervention très risquée qui allait exiger encore plus de sang de donneurs.
De surcroît, pendant qu’elle se remettait encore de cette intervention, un ulcère hémorragique s’est déclaré, lui faisant perdre l’équivalent de tout son volume sanguin en une seule journée.
Louise Ringuette est gestionnaire de cas pour le Programme de sang rare de la Société canadienne du sang.
De l’aide pendant la pandémie
Il a fallu une transfusion massive pour aider Aaliyah à surmonter la dernière crise. M. Wu a qualifié le séjour de six semaines de la petite fille à l’hôpital de « période extrêmement pénible pour sa mère et son père ».
M. Mchopanga s’inquiétait en outre des risques de répercussions de la pandémie sur l’approvisionnement en sang pour sa fille, ce qui rendait les choses encore plus difficiles.
« Je me demandais ce qui allait arriver si les gens ne pouvaient plus sortir. Ça veut dire les donneurs aussi, non? »
Parallèlement, l’état critique d’Aaliyah préoccupait grandement le personnel de la Société canadienne du sang. Pendant que la succession de crises de la fillette contraignait les médecins à puiser sans cesse dans la banque restreinte de donneurs compatibles, la pandémie forçait l’annulation des collectes mobiles, réduisant ainsi les options pour tous les donneurs, y compris ceux qui étaient compatibles avec elle.
À l’autre bout du pays, au Nouveau-Brunswick, la gestionnaire de cas d’Aaliyah au sein du Programme de sang rare craignait, comme M. Mchopanga, que les donneurs de la petite fille aient trop peur de quitter leur domicile.
Louise Ringuette, technologue de laboratoire médical, admet : « Chaque matin quand j’arrivais au travail, je me demandais s’il y avait eu du nouveau dans cette affaire. Avaient-ils trouvé plus de donneurs? Quand subira-t-elle une intervention chirurgicale? Comment va-t-elle? ».
« Ça me touchait beaucoup, même si j’étais juste assise devant un écran. »
Une équipe unie pour soutenir les patients
En définitive, la Société canadienne du sang a pu répondre aux besoins d’Aaliyah grâce à une collaboration nationale. Tout au long de l’hospitalisation de la petite fille, Louise a communiqué fréquemment avec ses collègues du Programme de sang rare et le centre de distribution de la Société canadienne du sang à Vancouver, où un spécialiste technique surveillait de près les réserves de sang compatible dans tout le pays.
Même si le sang peut être acheminé n’importe où au Canada, le personnel a travaillé dur pour recruter des donneurs dans la région d’Aaliyah et réduire les risques liés aux délais d’expédition. Les employés ont également congelé quelques unités de globules rouges au cas où les unités fraîches venaient à manquer. Aaliyah a eu besoin de certaines de ces unités au printemps.
Parfois, pour aider un patient, il faut donner une dimension humaine à la situation. À un certain moment, Mme Ringuette et l’une de ses collègues ont pris la décision de communiquer quelques renseignements sur le cas d’Aaliyah aux personnes qui téléphonaient à des donneurs potentiels.
« Nous avons décidé ensemble d’informer le personnel du Centre national d’appels que ses efforts visaient à aider une jeune enfant, en insistant beaucoup sur le fait qu’en raison des inconvénients causés par la pandémie de COVID-19, elle avait désespérément besoin de ces unités, explique Mme Ringuette. Je crois que cette approche a aidé à convaincre les donneurs de venir donner malgré la période étrange que nous vivons. »
Aaliyah Mchopanga reçoit régulièrement des traitements de remplacement de globules rouges pour gérer son anémie falciforme, une maladie du sang héréditaire.
Grâce en grande partie aux donneurs, Aaliyah est de retour dans sa famille qui comprend maintenant une nouvelle petite sœur.
C’est pendant qu’Aaliyah dormait à l’hôpital que sa mère, venue lui rendre visite, s’est rendu compte que le travail avait commencé. Admise à l’hôpital pour femmes de la Colombie-Britannique — qui fait partie du même complexe hospitalier que l’hôpital pour enfants — Mme Mfaume a donné naissance à Mya, la petite sœur d’Aaliyah, le 29 mars.
Tout en apprenant à connaître sa nouvelle petite sœur, Aaliyah fait aussi de la réadaptation pour se remettre de ses AVC. Elle se rend également à l’hôpital toutes les deux ou trois semaines pour les traitements de remplacement de globules rouges. Son père louange les « merveilleuses personnes » de l’équipe d’aphérèse de l’hôpital qui aident sa fille à s’adapter à cette épreuve de quatre heures.
« Pour une petite fille de cinq ans qui aime jouer à la poupée, c’est difficile, fait-il remarquer. Elle doit rester assise sans bouger pendant tout le traitement. »
M. Wu se dit « très optimiste » pour l’avenir de la fillette. Selon lui, le remplacement régulier de ses globules rouges peut la garder en bonne santé, et il a bon espoir qu’un jour, une greffe de cellules souches ou une thérapie génique pourra guérir Aaliyah.
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En attendant, les parents d’Aaliyah continuent d’être très reconnaissants pour les soins qu’elle a déjà reçus, y compris pour la contribution des donneurs de sang.
« Ce sont des gens merveilleux et nous apprécions tout ce qu’ils font », affirme Mme Mfaume.
« Nous aimerions tous les connaître, dit M. Mchopanga. L’équipe de la Société canadienne du sang, nos donneurs. Mais je sais que c’est un effort collectif et que tout ce que nous pouvons dire, c’est merci du fond du cœur. »