Parlons aux enfants du don d’organes et de tissus
Une enseignante, mère d’un donneur décédé d’organes et de tissus, fait équipe avec des médecins pour faire évoluer la façon dont les enfants voient le don d’organes et de tissus
Parlons aux enfants du don d’organes et de tissus
Si vous demandez à une personne travaillant dans le milieu du don et de la greffe d’organes et de tissus quel est, selon elle, le plus grand obstacle dans son domaine, elle évoquera sans doute le manque d’éducation et de sensibilisation à ce sujet. Selon les responsables médicaux et les enseignants, cette lacune se manifeste de la salle de classe à l’hôpital. Trois professionnels travaillent d’arrache-pied pour faire évoluer les ressources éducatives actuelles pour qu’elles soient plus accessibles et plus inclusives et, à terme, pour faire évoluer la manière dont les enfants abordent le don d’organes et de tissus.
« Éduquer les jeunes, c’est changer le monde »
Un médecin retraité de l’Ontario a réalisé un important travail de fond en essayant de sensibiliser des lycéens de sa province. En 1998, le Dr William Wall, alors spécialiste de la transplantation au Centre des sciences de la santé de London, en Ontario, est invité à parler du don d’organes et de tissus dans une classe d’école secondaire de London.
« Même si les élèves étaient mal informés sur le sujet, j’ai été très impressionné par leur désir d’apprendre », raconte le Dr Wall.
Le Dr William Wall, pionnier de la greffe d’organes et de tissus, œuvre à améliorer la sensibilisation sur le sujet.
L’école décide d’étendre le sujet au reste de l’école en organisant des assemblées, au cours desquelles les élèves posèrent beaucoup de questions au Dr Wall et manifestèrent une grande curiosité. Ils lui demandent ensuite d’élaborer un support de cours pour le programme d’éducation physique et de santé de 11e année. Et en 2001, il reçoit une subvention de la Fondation canadienne du rein pour développer un cours destiné aux écoles secondaires de London.
« Et puis, les élèves qui ne suivaient pas de cours d’éducation physique et de santé ont voulu en apprendre davantage sur le sujet, explique le Dr Wall. Donc, en 2009, le programme de transplantation de l’hôpital universitaire s’est associé au Réseau Trillium pour le don de vie — l’agence ontarienne chargée du don d’organes et de tissus — et a mis à jour le cours pour qu’il puisse être enseigné dans les programmes de sciences, de physique, d’études sociales, d’arts, d’anglais, de sciences humaines et d’études comparatives des religions du monde. Le sujet a été adapté à chacun de ces programmes et les enseignants y ont collaboré afin de rendre le cours agréable aux étudiants. Ça a été beaucoup de travail! »
Il y a maintenant dix ans que les membres de la communauté du don d’organes et de tissus au Canada reconnaissent qu’il est nécessaire et possible de combler les lacunes en matière d’apprentissage.
« Ce n’est pas une tâche facile et une solution unique ne conviendrait pas à tout le monde. Chaque province doit aider à développer des cours en utilisant un modèle qui lui convient », explique le Dr Wall.
La ressource pédagogique que le Dr Wall a aidé à concevoir pour les élèves du secondaire de l’Ontario il y a plus de dix ans est toujours disponible en ligne. Avec des défenseurs du don d’organes, comme Bernie Boulet, il espère que de nouvelles ressources pourront aussi susciter des échanges constructifs aussi bien à l’école qu’à la maison.
Le fils de Bernie, Logan Boulet, était défenseur dans l’équipe des Broncos de Humboldt, une équipe de hockey junior qui se rendait à un match lorsque le bus qui la transportait a été heurté par un camion en avril 2018.
Grâce au fait que Logan s’était inscrit comme donneur d’organes et qu’il en avait informé ses proches dans les semaines précédant la tragédie, son cœur, ses poumons, son foie, ses deux reins et ses deux cornées ont pu faire l’objet de dons. La nouvelle de ce généreux acte final a produit ce que l’on a appelé « l’effet Logan Boulet », puisque plus de 100 000 personnes dans tout le Canada se sont inscrites comme donneurs d’organes dans les semaines qui ont suivi. Un an plus tard, le 7 avril 2019, a eu lieu la première Journée du chandail vert, une journée destinée à reconnaître le geste de Logan et à continuer la sensibilisation au don d’organes et de tissus.
Bernie Boulet (à droite) et son mari, Toby Boulet, reconnaissent l’importance de discuter du don d’organes avec les enfants, à la maison et en classe.
C’est à ce moment-là que Bernie s’est découvert un défi. Dans le cadre de la Journée du chandail vert et en tant qu’enseignante de 2e année à Lethbridge, en Alberta, elle souhaitait partager l’histoire de son fils avec sa classe afin d’encourager les discussions familiales sur l’inscription au registre de donneurs d’organes et de tissus. Or, quand elle s’est mise à la recherche de matériel pédagogique sur le sujet, elle n’en a trouvé aucun.
« J’avais la possibilité de me faire entendre, mais je ne disposais pas des ressources nécessaires », raconte-t-elle.
Les familles discutent rarement du don d’organes avec les enfants
Bernie ne le savait pas, mais à quelques heures de route de là, à Calgary, une médecin de l’Alberta Children’s Hospital était aux prises avec des préoccupations similaires.
La Dre Meagan Mahoney se spécialise dans les soins aux enfants gravement malades. Dans le cadre de son travail, elle a rencontré de nombreuses familles confrontées à la décision de donner ou non les organes de leur enfant. D’après son expérience, les personnes qui abordent le sujet avec leurs enfants — ce qui, selon elle, est rare — y sont bien mieux préparées sur le plan émotionnel.
La Dre Meagan Mahoney trouve des moyens créatifs et adaptés à l’âge des enfants pour leur parler du don d’organes et de tissus.
« Le but est de leur expliquer ce qu’implique réellement le don d’organes et de tissus et de dissiper de nombreux mythes, explique la Dre Mahoney. Les familles qui ont accès à des informations précises sont plus à même de décider si cette démarche de fin de vie leur convient. »
Bernie et la Dre Mahoney ont été réunies par Jenny Ryan, responsable au sein du programme Don et greffe d’organes et de tissus (DGOT) de la Société canadienne du sang. Ce programme a été mis en place pour travailler avec la communauté DGOT sur des projets d’éducation et de sensibilisation du public. Jenny a vu là l’occasion de réunir les deux.
« La première étape a été de lancer le dialogue, explique Jenny. « La Dre Mahoney travaillait sur un programme pilote pour ses propres enfants et elle avait besoin d’un porte-parole en Alberta, la voix d’un enseignant. Bernie est enseignante et avait elle-même vécu cette expérience. C’était un rapprochement idéal. »
« Nous voulons servir de passerelle »
La Dre Mahoney fait partie d’un projet national de la Société canadienne du sang qui porte sur le don d’organes en pédiatrie. Bernie et elle travaillent ensemble à la création de ressources éducatives adaptées aux familles afin d’aider les parents et les enfants à comprendre et à aborder ce sujet sensible.
Le Dr Wall, quant à lui, poursuit son travail avec la Société canadienne de transplantation et son comité d’éducation afin de démontrer la valeur et la nécessité d’un programme national complet sur le don et la greffe d’organes et de tissus. Pour concrétiser cette vision, il cherche à s’associer à des représentants d’organismes de don d’organes au Canada.
Des efforts comme ceux-ci aident le personnel de la Société canadienne du sang à mettre en place une plate-forme en ligne dont le but est de mettre à la disposition des enseignants des ressources sur le don d’organes et de tissus.
« Notre rôle est d’aider à aiguiller la conversation nationale et aussi d’aider les provinces qui ont moins de ressources et d’opportunités à développer leur propre matériel », dit Jenny. Nous voulons servir de passerelle et mettre ces ressources à la disposition des enseignants et des élèves, où qu’ils soient au Canada ».
Qu’il s’agisse d’enseignement primaire ou secondaire, le Dr Wall, Bernie et la Dre Mahoney ont les mêmes objectifs : fournir des ressources éducatives sur le don et la greffe d’organes et de tissus, que les éducateurs utiliseraient pour susciter des discussions sur le sujet à la maison.
« Nous voulons enseigner aux enfants le civisme et l’altruisme. Le don d’organes ne concerne pas seulement la mort, il s’inscrit également dans le cadre de traitements médicaux », explique Bernie. Il faut traiter le sujet de la même manière que le don de sang : avec l’idée de donner aux autres et de leur venir en aide. »
« Le pire moment pour prendre une décision sur le don d’organes est lorsqu’on se retrouve en unité de soins intensifs », explique le Dr Wall, qui est devenu membre de l’Ordre du Canada en 2008 pour l’excellence de ses travaux de recherche, de son travail auprès des patients, de son travail de sensibilisation auprès du public et de sa mobilisation pour le don d’organes. « Nous devons faire en sorte que la discussion n’ait pas lieu à ce moment-là, mais qu’elle ait lieu en amont, dans la salle de classe, et que les enfants aient la possibilité d’en apprendre plus sur le sujet et de discuter ouvertement de la manière dont le don d’organes sauve des vies. »
« Éduquer les jeunes, c’est changer le monde. Tout comme le réchauffement climatique ainsi que la diversité, l’égalité et la justice sociales, les mouvements importants commencent avec les jeunes générations. »
Pour en savoir plus sur le don d’organes et de tissus, allez à sang.ca.