La science du don
La sociologue Jennie Haw nous aide à mieux comprendre les donneurs afin de rendre la chaîne de vie du Canada plus inclusive
« Les nombreux entretiens que j’ai eus avec des donneurs m’ont permis de constater la signification et la valeur que le don d’organes revêt pour les gens, déclare Jennie Haw. Leurs contributions vitales à la Société canadienne du sang sont manifestement aussi importantes sur le plan social que sur celui de la santé. Il est donc important de veiller à ce que nos politiques soient aussi équitables que possible. »
Jennie Haw, l’une des deux spécialistes des sciences sociales du Centre d’innovation, a apporté une nouvelle dimension importante à nos efforts de recherche. Depuis qu’elle a rejoint l’équipe en 2019 avec sa collègue, Kelly Holloway, la sociologue a approfondi notre compréhension des attitudes et des comportements des donneurs, nous aidant à réagir plus efficacement dans un contexte social en évolution.
« Faire progresser la justice sociale et l’équité en matière de santé a toujours été un thème important de mon parcours pédagogique et professionnel, dit-elle. Ce sujet me passionne. »
Des modifications opportunes, pertinentes et équitables
Jennie Haw travaille actuellement à deux projets de recherche qui portent sur les questions d’équité pour les hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH). À l’heure actuelle, au Canada, les hommes ne peuvent donner de leur sang s’ils ont eu des contacts sexuels avec un autre homme au cours des trois mois précédents. La réduction de cette période d’attente, qui était encore d’un an en 2019, constitue un pas en avant vers une bien meilleure solution : des évaluations fondées sur le comportement sexuel pour tous les donneurs. La Société canadienne du sang a l’intention de présenter à Santé Canada une demande en ce sens d’ici la fin de 2021. Dans l’attente de l’approbation réglementaire, nous avons hâte d’adopter une vérification de l’admissibilité qui consiste à évaluer les facteurs de risque sexuel des particuliers plutôt que des populations globales.
« Un homme gai qui vit une relation stable avec une autre personne depuis plusieurs années et qui n’a de relations sexuelles qu’avec cette personne ne présente potentiellement pas plus de risques qu’un hétérosexuel dans une situation similaire », explique Jennie Haw. Cependant, modifier la procédure de sélection nécessaire pour refléter cette réalité nécessitera l’élaboration de questions sur le comportement sexuel des donneurs actuels et des nouveaux donneurs.
« Je travaille actuellement à évaluer l’opinion des donneurs d’aujourd’hui sur les nouvelles questions proposées concernant les autres comportements sexuels, explique-t-elle. Les gens comprennent-ils les questions? Sont-ils à l’aise ou gênés d’y répondre? Pourquoi? Et, surtout, qu’est-ce qui pourrait contribuer à atténuer leur malaise? »
Un deuxième projet de recherche connexe porte sur les personnes qui ne sont pas actuellement autorisées à donner du sang total ou du plasma. La sociologue interroge un groupe diversifié d’hommes gais, bisexuels et autres HARSAH, ainsi que des transgenres, afin de connaître leur avis sur les nouvelles questions qui pourraient être posées aux donneurs et sur les processus de sélection envisagés. Ces deux projets, ainsi que dix-neuf autres menés par des chercheurs de diverses disciplines, sont financés par Santé Canada dans le cadre d’une évaluation rigoureuse et pluriannuelle des modifications proposées concernant la sélection et l’admissibilité des donneurs. Les connaissances sociologiques sont essentielles pour s’assurer que ces modifications sont pertinentes, opportunes et considérées comme équitables par les communautés touchées, y compris les Canadiens qui sont actuellement exclus du don et qui sont troublés par la lenteur du changement.
Élargir la portée de l’étude
Élargissant sa perspective des sciences sociales à d’autres domaines de l’engagement des donneurs, Jennie Haw a également commencé à examiner les facteurs qui entravent ou facilitent le don de sang pour les jeunes adultes noirs et racisés. Si de nombreux patients ayant besoin de transfusions peuvent recevoir du sang correspondant simplement à leur groupe ABO, d’autres ont besoin d’une compatibilité plus précise qui n’existe qu’auprès de donneurs ayant des origines ethniques similaires. C’est le cas de nombreux patients atteints d’anémie falciforme, une maladie qui touche principalement les Noirs et les autres Canadiens racisés. En nous permettant d’en apprendre davantage sur les donneurs potentiels de ces transfusions qui sauvent des vies, les travaux de recherche de Jennie Haw pourraient nous aider à augmenter le nombre de ces donneurs. Elle mène ce projet communautaire en collaboration avec l’Association d’anémie falciforme du Canada et la Sickle Cell Foundation of Alberta.
Les conversations que la chercheure a eues avec les donneurs au sujet de la vérification de l’admissibilité ont également révélé des différences générationnelles dans la façon dont les gens envisagent la question du don, une autre piste de recherche qui pourrait orienter les futurs efforts de recrutement. « Le participant le plus âgé que j’ai interrogé avait 82 ans et il parlait du don comme d’un sacrifice, explique Jennie Haw. Plus jeunes, les gens ont tendance à parler du don comme d’un cadeau, ou comme de quelque chose dont ils pourraient bénéficier un jour. Les significations sociales du don semblent donc évoluer avec le temps. Je suis curieuse d’explorer cette évolution pour voir en quoi les connaissances acquises peuvent nous aider. »
L’équipe des sciences sociales de la Société canadienne du sang échange également des connaissances et collabore avec des pairs qui travaillent pour des organisations du secteur du sang dans d’autres pays. Par exemple, Jennie Haw et un collègue australien préparent le terrain pour un projet visant à mieux comprendre le taux d’attrition élevé chez les donneurs de cellules souches inscrits. Les résultats d’une telle étude pourraient contribuer à réduire le grand nombre de personnes inscrites au Registre de donneurs de cellules souches qui refusent finalement de faire un don lorsqu’elles sont jumelées, souvent plusieurs années plus tard, à un patient dans le besoin.
Dans le monde entier, un nombre croissant d’universitaires étudient le don de produits biologiques essentiels, notamment le sang et les produits sanguins, le lait humain, le sperme et les ovules, et même les matières fécales. En combinant les connaissances de la psychologie, de la sociologie, des sciences politiques et du droit, ces pionniers tracent les contours d’un nouveau champ d’étude qui pourrait profiter aux donneurs, et donc aux patients, partout dans le monde.
« Lorsque j’ai commencé à faire des recherches dans ce domaine, en mettant l’accent sur les banques de sang de cordon, il n’y avait guère de sentiment d’appartenance à une communauté entre les chercheurs travaillant sur des sujets similaires, se souvient Jennie Haw. Aujourd’hui, les gens se rapprochent et établissent des liens plus étroits, alors que nous élargissons le nouveau domaine de la recherche sur les dons. »
Cette histoire est reprise dans le rapport annuel que nous publierons sur notre site Web à la fin d’octobre 2021. Intitulé Façonner l’avenir, notre rapport rendra hommage à nos employés et à nos donneurs, qui ont relevé toutes sortes de défis pour assurer la santé future des Canadiens.