Utilisation de l’immunocamouflage pour tromper le système immunitaire
En bref ...
La technique expérimentale d’immunocamouflage des cellules sanguines pourrait fournir des produits sanguins sûrs à des fins de transfusion aux patients pour lesquels il est difficile de trouver des donneurs compatibles.
Comme sur toutes les autres cellules, on trouve à la surface des cellules sanguines des protéines et des sucres qui peuvent agir comme antigènes. Les antigènes aident le système immunitaire à distinguer ses propres cellules des cellules étrangères. La rencontre d’antigènes non présents sur les propres cellules de l’organisme déclenche la production d’anticorps contre les antigènes et l’attaque des cellules par le système immunitaire.
Le groupe sanguin dépend des antigènes présents à la surface des globules rouges. Il existe deux grands systèmes de groupes sanguins : ABO (groupes sanguins A, B, AB et O) et Rhésus (positif ou négatif). Ceux-ci sont importants en cas de transfusion et les transfusés reçoivent des produits compatibles en fonction de leur groupe ABO et de leur facteur Rhésus (Rh). En cas de transfusion de sang incompatible, la réaction immunitaire peut détruire les cellules transfusées et rendre le receveur gravement malade.
Les systèmes ABO et Rh ne sont pas les seuls groupes d’antigènes érythrocytaires. En fait, à ce jour, on a recensé plus de 30 autres systèmes de groupes sanguins. Les patients qui reçoivent de nombreuses transfusions deviennent parfois sensibles à d’autres antigènes érythrocytaires (ce qu’on appelle l’« allo-immunisation »). Ces patients ont besoin d’un produit plus compatible que simplement un produit ABO positif ou négatif et il peut s’avérer très difficile de trouver du sang qui leur convienne. Il existe pour ces patients une autre solution : tromper le système immunitaire en masquant ou en camouflant les antigènes érythrocytaires autres qu’ABO de sorte qu’ils ne puissent pas être détectés.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Le polyéthylèneglycol (PEG) est un polymère utilisé en toute sécurité depuis plus de 30 ans dans divers médicaments et traitements. Par exemple, il permet de prolonger l’action de médicaments à base de petites protéines et les chercheurs se penchent sur son utilisation à de nombreuses autres fins médicales, notamment pour masquer les antigènes sur les cellules et les tissus afin d’éviter que le système immunitaire ne les détecte. Comme le montre un modèle animal, cet immunocamouflage masque les antigènes sans nuire au fonctionnement des globules rouges ou à leur survie dans l’organisme.
Dans cette étude, les chercheurs ont comparé le PEG à un autre polymère appelé « PEOz ». Bien que l’utilisation du PEG soit largement répandue, quelques études ont fait état d’un risque de réaction à ce polymère chez les patients. On pense que le PEOz risque moins de provoquer une réaction. Les chercheurs ont examiné la forme et le fonctionnement des globules rouges recouverts de PEG ou de PEOz afin de déceler tout changement. Ils ont également vérifié dans quelle mesure les polymères pouvaient empêcher le système immunitaire de reconnaître les globules rouges.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
Le PEOz et le PEG ont des structures différentes, mais ils sont similaires à de nombreux autres égards. Les deux sont des polymères assez simples, bon marché, faciles à fabriquer et peu toxiques. Dans l’ensemble, on a observé peu de différences dans le fonctionnement des globules rouges recouverts de PEG ou de PEOz. L’une des rares différences réside dans une mesure appelée « morphologie », qui décrit la forme des globules rouges. Un changement de forme peut être le signe d’une détérioration. Le PEOz a eu moins d’incidence que le PEG sur la forme des globules rouges, ce qui donne à penser qu’il leur cause moins de dommages. Les deux polymères ont la même capacité de masquer les antigènes érythrocytaires.
Les chercheurs ont ensuite vérifié à quel point les globules rouges traités au PEG et au PEOz pouvaient échapper à la détection par le système immunitaire. Ils ont fait un test en laboratoire pour voir si le système immunitaire réagirait aux globules rouges après une transfusion. Le test a montré que le PEG convient mieux que le PEOz pour camoufler les globules rouges. Le système immunitaire n’a pas reconnu les globules rouges recouverts de PEG. L’utilisation du PEOz pourrait tout de même mieux convenir aux patients sensibles au PEG. L’étude a également permis aux chercheurs de mieux comprendre comment le PEG et le PEOz camouflent les globules rouges. Ils ont découvert que l’ajout de ces polymères aux globules rouges permet de masquer les globules rouges en les liant à des antigènes particuliers, mais aussi en camouflant ce qu’il y a autour.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
On peut trouver du sang compatible pour la majorité des patients qui ont besoin d’une transfusion. Toutefois, pour les personnes souffrant de maladies chroniques et ayant besoin d’une thérapeutique transfusionnelle continue, il est parfois très difficile de trouver du sang compatible. Les patients ont plus de chance d’avoir un donneur compatible au sein de leur propre groupe ethnique. C’est pourquoi les banques de sang de chaque pays collaborent souvent pour essayer de trouver un donneur compatible pour les patients qui ont désespérément besoin d’une transfusion. On ne peut cependant pas toujours trouver un donneur compatible.
L’immunocamouflage est parfois une solution. Il rend compatible du sang incompatible, en trompant le système immunitaire. Cette technique en est encore à l’étape de l’essai en laboratoire et n’a pas encore été utilisée chez un patient. Mais Santé Canada accepte son utilisation à titre compassionnel dans les cas où le patient a désespérément besoin de sang et qu’aucun donneur compatible n’a été trouvé. La poursuite de la recherche sur l’immunocamouflage de globules rouges et d’autres cellules aidera à comprendre et à mettre au point les nombreuses applications possibles de cette approche dans le domaine des transfusions et des greffes.
À propos de l’équipe de recherche
Dana L. Kyluik-Price et Li Li sont des boursiers postdoctoraux travaillant dans le laboratoire de Mark Scott au centre de recherche sanguine, à Vancouver. Mark D. Scott est chercheur principal au centre d’innovation de la Société canadienne du sang, établi au centre de recherche sanguine de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est également professeur clinicien au département de pathologie et de médecine de laboratoire de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Kyluik-Price DL, Li L. et M.D. Scott. Comparative efficacy of blood cell immunocamouflage by membrane grafting of methoxypoly(ethylene glycol) and polyethyloxazoline , Biomaterials, vol. 35, 2014, p. 412-422.
Remerciements : Cette recherche a reçu l’aide financière de la Société canadienne du sang, elle-même financée par les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé et Santé Canada, et des Instituts de recherche en santé du Canada. Le financement de l’infrastructure au centre de recherche sanguine de l’Université de la Colombie-Britannique provient de la Fondation canadienne pour l’innovation et de la Michael Smith Foundation for Health Research.
Mots-clés : globules rouges, antigènes, PEG, PEOz, immunocamouflage, allo-immunisation.
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Mark Scott, à mdscott@mail.ubc.ca.