La science de la préservation de cellules délicates par congélation
Apprenez en quoi consiste la cryopréservation et comment elle permet de stocker du sang rare et des cellules souches
La cryopréservation est un concept qui peut sembler très technique. Pourtant, elle fait partie de notre quotidien. Vos restes de chili se conservent plus longtemps au réfrigérateur que sur le comptoir. Et si vous les gardez au congélateur, vous pouvez les réchauffer pour les consommer des semaines ou des mois plus tard. Bref, la durée de conservation d’une matière organique est directement liée à la température à laquelle cette dernière est gardée.
Les mêmes principes de base s’appliquent aux globules rouges et aux cellules souches qui servent à traiter les patients. Les culots globulaires peuvent être conservés jusqu’à 42 jours au réfrigérateur. S’ils sont congelés, la durée de conservation est de 30 ans, et peut-être même plus longtemps.
« Pour mener à bien nos activités à l’échelle du pays, nous devons être en mesure de stocker des produits sanguins. Or, cette capacité de stockage à l’extérieur du corps est la seule raison pour laquelle nous avons un service de transfusion », affirme Jason Acker, chercheur principal au Centre d’innovation de la Société canadienne du sang et membre de la Society for Cryobiology, une société internationale de cryobiologie.
« Dans le passé, les donneurs et les receveurs se tenaient côte à côte pour les transfusions qui se faisaient de bras à bras. Maintenant, les dons peuvent être faits et reçus à des moments et dans des endroits différents, grâce aux technologies de préservation. »
Mais contrairement au chili de la veille, les globules rouges et les cellules souches nécessitent plus qu’une simple congélation. Ils doivent faire l’objet d’un traitement spécial afin de rester sécuritaires et utiles pour les patients.
Les globules rouges et les cellules souches peuvent être cryoconservés, mais doivent être traités différemment. La congélation des globules rouges est essentielle à notre programme de sang rare, qui stocke le sang de donneurs au groupe sanguin rare en vue d’aider les patients qui en auront besoin plus tard. Alors que les cellules souches provenant de donneurs adultes sont souvent congelées après leur prélèvement, celles qui proviennent du sang de cordon doivent toujours l’être.
Le processus de cryopréservation
La première étape de la cryopréservation est la préparation des cellules. À cette étape, nous utilisons des cryoprotecteurs, soit des substances que nous ajoutons aux globules rouges ou aux cellules souches pour éviter qu’elles ne s’abîment.
« Le plus grand défi de la cryopréservation est la gestion de l’eau dans les cellules. Si vous congelez des cellules sans y ajouter de cryoprotecteurs, l’eau qu’elles contiennent se transformera en glace. Or, lorsque l’eau se transforme en glace, son volume augmente. Et si ça se produit dans une cellule, cette dernière éclate et meurt », explique Nicolas Pineault, un chercheur en développement au Centre d’innovation de la Société canadienne du sang dont la spécialité est le génie des cellules souches.
« Le rôle des cryoprotecteurs consiste essentiellement à remplacer les molécules d’eau dans les cellules pour empêcher que de la glace s’y forme et les détruise. »
Les cryoprotecteurs utilisés pour les globules rouges et les cellules souches sont différents. Dans le premier cas, on utilise une solution à base de glycérol et dans le deuxième, du diméthylsulfoxyde (DMSO). Les cryoprotecteurs sont généralement retirés des cellules une fois qu’elles sont décongelées.
La Société canadienne du sang entrepose des globules rouges de groupes sanguins rares dans des congélateurs spéciaux, parfois pendant des décennies. (Photo prise avant la pandémie de COVID-19)
L’étape suivante consiste à congeler les cellules à la bonne température, soit -65 °C pour les globules rouges et -196 °C pour les cellules souches. La congélation des cellules doit respecter un certain rythme, ni trop rapide ni trop lent. De même, leur décongélation doit se faire de la bonne façon et au bon rythme. De plus, les cryoprotecteurs doivent être retirés des globules, par lavage et rotation, et des cellules souches, par dilution.
Les perspectives de la cryobiologie
Bon nombre des technologies utilisées en cryopréservation existent depuis les années 60 et ont été optimisées au fil des ans. Certains nouveaux domaines de développement laissent entrevoir des améliorations en matière de stockage des globules rouges et des cellules souches, ainsi que la mise au point de nouvelles thérapies cellulaires.
L’Université de l’Alberta, où M. Acker est professeur et dirige un laboratoire, offre l’un des seuls programmes d’études supérieures en cryopréservation dans le monde. La plupart des étudiants de cycle supérieur de M. Acker continuent par la suite de travailler dans des programmes de thérapie cellulaire. Les percées en cryopréservation ont d’importantes répercussions sur la thérapie cellulaire, y compris la thérapie CAR-T, un nouveau moyen intéressant et en rapide progression de traiter les cancers du sang.
Nouvelles et améliorées, les méthodes de cryopréservation contribuent à la préservation des tissus et des organes, à la médecine de la reproduction et même à la conservation de la biodiversité dans la nature. Par exemple, M. Acker a fait partie d’un groupe d’experts qui ont conseillé des organisations, notamment celle qui est derrière la réserve mondiale de semences du Svalbard en Norvège. « Ce programme vise à protéger l’approvisionnement alimentaire. Or, comme tout ne peut pas être préservé sous forme de semences, la cryopréservation a son utilité », affirme M. Acker.
Un important domaine d’intérêt est le développement de meilleurs cryoprotecteurs. Les cellules humaines ne sont pas conçues pour survivre à la congélation. Mais certaines cellules animales le sont. Une meilleure compréhension des mécanismes utilisés par des systèmes naturels pourrait permettre la mise au point de méthodes de préservation des cellules humaines.
Messieurs Acker et Pineault travaillent avec Robert N. Ben, biochimiste à l’Université d’Ottawa, au développement d’un nouveau type de cryoprotecteur ayant pour modèle plusieurs espèces de poissons de la côte de Terre-Neuve qui peuvent survivre à des températures inférieures au point de congélation. Ces poissons produisent des protéines antigels qui empêchent la cristallisation. L’équipe de M. Ben est parvenue à synthétiser des molécules de sucre qui reproduisent les protéines que l’on retrouve dans ces poissons. Messieurs Acker et Pineault travaillent avec M. Ben pour exploiter le potentiel cryoprotecteur de cette découverte.
« Depuis les années 60, il y a eu de nombreuses percées qui n’ont pas encore été exploitées. Notre rôle consiste en partie à remédier à cette situation. Nous travaillons avec des organisations et fournisseurs de sang du monde entier pour les aider à comprendre la façon d’assurer une meilleure cryopréservation des cellules, des tissus et des organes », dit M. Acker.
Grâce à notre Centre d’innovation, nous menons des activités de recherche-développement de calibre mondial en transfusion et en transplantation. Apprenez-en plus sur la façon dont vous pouvez nous aider à répondre aux besoins de demain en soutenant des travaux de recherche innovants qui auront des effets bénéfiques sur les prochaines générations.